J. Levy: Ages of American Capitalism

Cover
Titel
Ages of American Capitalism.


Autor(en)
Jonathan Levy
Erschienen
New York 2021: Random House
Anzahl Seiten
928
Preis
36,45€
von
Gordon Myles Jamieson

Depuis une décennie, la «nouvelle histoire du capitalisme» (NHC) a suscité de vifs débats aux États-Unis. D’aucuns l’ont saluée comme emblème de la diffusion du nouveau matérialisme dans les facultés d’histoire, quand d’autres y ont vu une opération marketing et critiqué l’absence de cohérence conceptuelle et méthodologique. Néanmoins, force est de constater que l’intérêt pour la NHC a gagné l’Europe, où les cours et les chaires se réclamant de ce courant se sont multipliés ces dernières années.

Dans ce contexte, le nouvel ouvrage de Jonathan Levy – figure de proue de la NHC – était très attendu. En effet, aucun autre historien associé à la NHC n’a exploré la nature du capitalisme (et plus spécifiquement du «capital») aussi explicitement dans ses travaux.

Le résultat final, intitulé Ages of American Capitalism: A History of the United States, vise à promouvoir le dialogue entre histoire et économie. L’auteur ambitionne non seulement d’écrire une histoire économique des USA sur 350 ans, mais également de proposer une synthèse générale de l’histoire du pays en y intégrant les dimensions politiques, sociales, environnementales et psychologiques.

Au coeur de l’ouvrage se trouve l’idée que la théorie de la préférence pour la liquidité de John Maynard Keynes offre une clé de lecture privilégiée pour comprendre les dynamiques historiques du capitalisme étatsunien. En guise de fil rouge, Levy identifie donc les institutions, les idées et les acteurs qui ont su encourager (ou non) les détenteur·rice·s de la richesse à renoncer à la liquidité de leurs ressources et à les immobiliser dans des actifs capables de générer de futures recettes. Au lieu d’une périodisation basée sur des critères purement économiques, les moments de rupture correspondent ainsi à des mutations du règlement politique du conflit, qui favorisent de façon différenciée les investissements dont dépendent l’emploi et la croissance économique moderne.

L’ouvrage est divisé en quatre parties chronologiques. «L’âge du commerce» (1660–1860) couvre la période allant de la colonisation britannique à la Guerre de Sécession, marquée par une contradiction fondamentale, au sein des institutions du pays, entre deux variétés du capitalisme: l’un, libre, et l’autre, esclavagiste. «L’âge du capital» (1860–1932) retrace l’émergence et la progression fulgurante du capitalisme industriel (et ce en dépit d’une conjoncture rythmée par des crises financières, des transformations démographiques et une résistance agrarienne déstabilisatrices) qui n’a été stoppée qu’avec l’éclatement de la Grande Dépression. Troisième partie, «l’âge du contrôle» (1932–1980) analyse le «New Deal Order», synonyme de la domination de l’économie par un État développemental et régulateur. Enfin, l’adoption d’une politique monétaire extrêmement restrictive, dès 1979, a marqué le début de «l’âge du chaos» (1980 à aujourd’hui) qui décrit la désindustrialisation, la réorientation de l’investissement vers les actifs financiers et immobiliers et l’intense développement des technologies de l’information. Cette dernière période se caractérise également par une progression significative des emplois non qualifiés ainsi que par les difficultés à faire redémarrer l’investissement privé dans le contexte de la «grande récession» qui a suivi la crise immobilière de 2007–2008.

L’argument provocateur faisant du conflit autour de l’investissement un moteur de la dynamique historique du capitalisme ne manquera probablement pas de susciter lescepticisme, voire l’ire, de certain·e·s. Au fil du texte, Levy semble d’ailleurs parfois lutter pour faire entrer sa narration dans le cadre théorique défini au préalable. Mais toujours est-il que, dans la perspective de longue durée proposée par l’auteur, il est certainement pertinent et légitime de questionner la régularité des phases cycliques de croissance et de crise. En la matière, si le cadrage employé par Levy n’offre pas de réponses définitives, il ne manquera pas de stimuler la réflexion des historien·ne·s.

Bien que Levy traite du problème de sa conceptualisation du capitalisme d’entrée de jeu, il peine davantage à se défaire d’une autre critique faite à la NHC: son américanocentrisme. Ce manque de perspective internationale pose parfois des problèmes analytiques. Dans la première partie, l’analyse donne à penser que le Royaume-Uni est le seul autre pays du monde; par la suite, les phases de rupture sont décrites uniquement dans leur dimension endogène aux USA. Les dynamiques de l’investissement international entrant et sortant sont également absentes du texte.

À l’image d’Eric Hobsbawm, qui a intégré la culture dans sa tétralogie sur les âges du capitalisme, Levy enrichit indéniablement son narratif en reliant les développements du monde économique à l’architecture, au cinéma, aux arts visuels et à la littérature (l’ouvrage compte quelques 61 images). Cependant, dépourvu du cadre théorique marxiste de Hobsbawm, le choix des anecdotes retenues par l’auteur peut paraître arbitraire. L’influence du matériel sur le culturel y est implicite, mais Levy a manqué une occasion d’éclaircir l’interaction entre ces deux dimensions.

Un tel livre de synthèse frustrera inévitablement les spécialistes sur certains détails. Cet ouvrage constitue néanmoins une véritable mine d’or de littérature secondaire réunissant tant les dernières publications de la NHC qu’un riche mélange de travaux d’histoire, de cliométrie, d’histoire des entreprises, de sociologie historique et d’études genre. Bien que Levy mobilise un certain nombre de concepts économiques, son analyse demeure accessible au plus grand nombre. Pour ces raisons, cet ouvrage se destine à devenir un manuel classique pour l’enseignement en histoire.

En définitive, en offrant un regard historique sur les origines structurelles des inégalités de race, de genre et de classe, Levy éclaire les débats actuels sans pour autant tomber dans le piège d’un déterminisme excessif. À ce titre, l’ouvrage est une réussite.

Zitierweise:
Gordon Myles, Jamieson: Rezension zu: Levy, Jonathan: Ages of American Capitalism. A History of the United States, New York 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(1), 2023, S. 72-74. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00120>.

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